Le GIN québécois va-t-il mourir ?

 

Photo Emmanuelle Ricard / Madame Gin

Les temps changent…

Mais, qu'est-ce qui est en train de changer ? Le changement est le suivant, nous les amateurs de gin, nous devons acheter nos gins dans un marché local qui offre une abondance incroyable de ce spiritueux. Nous avons maintenant accès à plus de 235 gins québécois différents. Il y a 5 ans, nous en comptions seulement une douzaine.

Sincèrement, pouvons-nous envisager de consommer et acheter les 235 gins existants et surtout, de les consommer et les racheter encore et encore, sur une base régulière pour assurer la survie des distilleries? C’est une mission quasi-impossible. Notre corps et notre portefeuille ont leurs limites !

De plus, l'offre ne cesse de s'accroître. Je vous annonce que plusieurs nouveautés gin sont encore en chantier. Nous atteindrons certainement le nombre de 250 gins dans quelques semaines.

Attention, je ne vais pas vous dire qu'il existe trop de gins au Québec. Ce serait facile et au final, sincèrement, ça n'apporterait aucune solution concrète aux distilleries que de faire cette déclaration.

Mais, je vais vous dire ceci:


La SAQ continue d’accepter de nouveaux gins dans son offre commerciale semaine après semaine. En termes clairs, la SAQ favorise l’attrait de la nouveauté et espère que le consommateur va régulariser le marché par lui-même.

Bref, elle dit aux producteurs d’alcool du Québec: Battez-vous pour un petit pain.

Puisque nos capacités à consommer sont malgré tout limitées comme consommateur et le demeureront, il est urgent que la SAQ se réajuste elle-même à son modèle commercial d’offre abondante en traitant les producteurs d’alcools fins du Québec avec équité.

Des distilleries vont fermer.

Comme nous avons pu le lire dans les journaux, plusieurs distilleries sont en train de tomber en disgrâce financière et, malheureusement, elles seront obligées de fermer leur porte. Ceci m’attriste énormément et je suis certaine que cela vous touche aussi puisque, depuis des mois, vous faites tout ce que vous pouvez pour soutenir nos producteurs d’alcool locaux.

L'heure est grave pour certains de nos amis distillateurs, on ne peut le dire autrement.


Parlons du problème avec cœur

Plusieurs médias du Québec nous ont expliqué que le principal enjeu qui empêche les distilleries de pouvoir prospérer dans leur marché local si compétitif se nomme: la majoration.

La majoration est trop souvent expliquée en chiffres étourdissants. Des chiffres souvent accompagnés d’un jargon professionnel franchement insupportable. Déjà, juste le mot majoration… ça ne nous dit pas grand chose, à nous, les consommateurs !

Je vous le confie, parfois, j'ai l’étrange impression que ce jargon est utilisé de part et d'autre pour ménager la susceptibilité de la SAQ.

Je vais donc me mouiller et utiliser ici le petit talent de vulgarisatrice que j'ai pour vous dire les choses simplement. Donc, vous m'excuserez si au passage je fais fi de quelques exceptions.

Le vrai du faux

Les amateurs de gin et spiritueux sont heureux d’acheter sur place à la distillerie, surtout lorsqu'ils viennent de découvrir toute la passion et la richesse du savoir-faire de l’équipe de celle-ci. Par ce geste d’achat direct, l’amateur souhaite soutenir et encourager la distillerie.

La réalité, c’est que la distillerie ne fait pas de profit, même qu’en général, elle accuse des pertes suite à cette transaction.

Quoi ?
Oui, vous avez bien lu, des pertes.


Même si l’achat est fait en distillerie, La SAQ ramasse une énorme partie du montant de la
vente pour son profit à elle.

La part du lion

J’écris bien profit, puisque la SAQ n’a fait aucun investissement financier dans la transaction commerciale que l’amateur de gin vient de passer avec la distillerie. 

Il faut bien le dire, tout est aux frais de la distillerie: fabrication du spiritueux fin, boutique, personnel et gestion.

Est-ce donc vraiment normal, juste et équitable économiquement parlant que la SAQ prenne la part du lion (majoration) sur la vente de cette bouteille de spiritueux fin ?

Des taxes, on pourrait comprendre comme dans tous les commerces, mais la part du lion? Non!


Alors pourquoi poursuivre la vente en distillerie ?

Les distilleries poursuivent la vente de spiritueux dans leurs locaux pour le plaisir de vous rencontrer, vous, les amateurs de spiritueux, mais aussi, elles le font dans l’espoir de vous faire aimer leurs produits et de vous fidéliser. 

Malheureusement, beaucoup de distilleries ne pourront poursuivre cette démarche déficitaire de promotion encore très longtemps. Pourtant, tout pourrait se passer de manière différente. La solution est simple, la SAQ doit traiter équitablement les producteurs d’alcool du Québec.

La SAQ n'est pas un joueur économique ordinaire. Elle est le gouvernement. Indirectement, elle nous représente. Il est donc normal que nous ayons envers elle le désir qu’elle ait des pratiques commerciales équitables avec tous ses fournisseurs, mais plus particulièrement avec les producteurs québécois d’alcool.

La SAQ a maintenant 100 ans. Elle s’est souvent renouvelée et a fait preuve de plusieurs progrès tout au long de son parcours. Je crois qu’il serait intéressant qu’elle se renouvelle encore.
Cette fois, en ayant un regard global sur l'apport et l’impact qu’elle peut avoir dans la valorisation du terroir québécois, en laissant les distilleries du Québec respirer un peu.

Photo Emmanuelle Ricard / Madame Gin 

Une solution novatrice

C’est tout simple, pour les nombreux gins et spiritueux du Québec, il faut de nouveaux clients. Des touristes d’ici et d’ailleurs qui viendraient découvrir les routes des distilleries du Québec sur lesquelles on retrouverait aussi tout un écosystème d'entreprises agroalimentaires spécialisées dans les produits savoureux locaux. 

Sur ces routes, nous pourrions aussi manger dans des restaurants qui valoriseraient et offriraient une cuisine aux saveurs du Québec. Une cuisine accompagnée d’alcools locaux. Ce serait des routes gourmandes, exquises et extraordinaires.

D’ailleurs, je tiens à mentionner que les distilleries du Bas-Saint-Laurent ainsi que celles de la Gaspésie ont déjà mis de l’avant, cette année, ce principe de route des spiritueux en créant
La Route des Distilleries de L’Est

Comment y sont-ils parvenus ? En se serrant les coudes, tous ensemble, avec des moyens très restreints. Leur démarche fait la preuve que cette option est intéressante pour eux, mais aussi pour toute l’économie de leur secteur. Bravo !

Je le répète, un traitement équitable de la SAQ envers les producteurs québécois d’alcool ferait une énorme différence. On dit souvent que les régions du Québec se dévitalisent, n’avons-nous pas ici une clé pour redonner fierté et vitalité à ces régions?

Pour terminer, le milieu de la distillation du Québec me tient à cœur. Je l'entends crier, alors je crie avec lui. Je souhaite à tous les producteurs d’alcool du Québec des temps meilleurs d’équité et de prospérité
.


Texte: Emmanuelle Ricard / Madame Gin
Révision: Jacinthe Lachance, merci la best des best.